Lichénologie
1. Introduction
Les lichens sont des organismes doubles reconnus depuis 1869. En effet, ils résultent d’une union symbiotique stable entre une algue et un champignon. Leur classification est essentiellement basée sur l’organisme fongique, partenaire dominant tant dans la morphologie que dans la reproduction de la symbiose. À chaque espèce de champignon correspond une espèce de lichen. Cette symbiose polyphylétique permet l’existence d’un organisme complexe dans des milieux extrêmes dans lesquels les deux partenaires ne s’accommoderaient pas isolément. Ils sont capables de coloniser des milieux aux caractéristiques biogéographiques très variées et jouent des rôles écologiques et pédologiques primordiaux. Les lichénologues estiment à environ 20 000 espèces différentes dans le monde (Feuerer et Hawksworth, 2007), et près de 3 000 en France métropolitaine (Roux et al., 2017). Malgré leur faible capacité à se fossiliser, les premières traces paléontologiques de lichens datent du Cénozoïque.
2. La symbiose lichénique
2.1. Les deux partenaires
Les lichens sont généralement formés de deux partenaires aux relations étroites. Dans certains cas, cette association peut inclure une troisième espèce. Les cellules algales sont entrelacées au sein des filaments du champignon (Figure 2.1). Au vu de la dominance du partenaire fongique, cette association est souvent considérée comme un champignon lichénisé.
Figure 2.1. Structure d’un lichen en coupe transversale.
2.1.1. Mycobionte
Le partenaire fongique (mycobionte ou mycosymbiote) est assuré en majorité par un ascomycète : il s’agit d’ascolichens. Quelques espèces de lichens (moins de 50, principalement des espèces tropicales) correspondent cependant à des associations faisant intervenir un basidiomycète : il s’agit de basidiolichens. Les cellules du champignon, appelées hyphes, sont longiformes aux parois minces et présentent des cloisons transversales. Ces filaments sont plus ou moins ramifiés (Figure 2.1). Chaque espèce de lichen correspond à une espèce distincte de champignon.
2.1.2. Photobionte
Le partenaire algale (photobionte, photosymbiote ou phycosymbiote) est assuré soit par une algue verte ou Chlorophyceae (chez 90 % des lichens : chlorolichens), soit par une cyanobactérie ou Cyanophyceae (chez 10 % des lichens : cyanolichens). Les cellules algales sont appelées gonidies (Figure 2.1). Les chlorolichens possèdent de la chlorophylle et des grains d’amidon ou des gouttelettes lipidiques de carotène, et sont représentés majoritairement par deux familles : les Chloroccaceae (Trebouxia) et les Trentepohliaceae (Trentepohlia). Pour les cyanolichens, la famille la plus présente est celle des Nostocaceae (Nostoc), présentant des cellules en forme de chapelets de coloration bleu-vert (chlorophylle et phytocyanine).
2.2. Nutrition et relations biochimiques
La symbiose lichénique est basée sur la complémentarité des métabolismes entre l’algue autotrophe et le champignon hétérotrophe. La nutrition en carbone est donc réalisée par le photobionte, cédant au champignon l’excès de matière carbonée synthétisée sous forme d’hydrates de carbone solubles, ainsi que d’autres produits de la photosynthèse. Cependant, il est fréquent que le bilan carboné soit en faveur de la respiration, même chez les lichens riches en cellules algales dans des conditions propices pour une activité photosynthétique. Ceci appuie l’hypothèse d’une source carbonée supplémentaire, comme cela est connu chez les lichens saprophytes se développant sur substrats organiques.

En contrepartie de cet apport en carbone, le mycobionte fournit l’eau issue de l’air ambiant captée par la surface du thalle, appareil végétatif du lichen. Cette eau permet l’alimentation en sels minéraux (macro- et micronutriments), ainsi qu’en vitamines indispensables pour la croissance du photobionte. La faible teneur en eau (entre 2 et 10 % de masse sèche) permet au lichen de se dessécher, entraînant une diminution de l’activité photosynthétique. Il y a alors épaississement du cortex ; en devenant opaque, les ultraviolets ne peuvent atteindre les cellules algales. Les lichens ont néanmoins une grande capacité de reviviscence : la réhydratation rapide permet la reprise des fonctions métaboliques du fait de leur caractère poïkilohydre (teneur en eau dépendant du milieu environnant).

La nutrition azotée est en partie assurée par l’atmosphère : via les dépôts particulaire et liquides (NH4
+ rapidement converti en acides aminés et NO3) ou le prélèvement de N2 atmosphérique uniquement chez les cyanolichens capables de réaliser la fixation. Le substrat constitue une seconde source en azote organique, notamment via les excréments d’oiseaux par les lichens ornithocoprophiles.

Après transformation des sucres reçus par le champignon, ces substances modifiées ont pour but de maintenir la turgescence du lichen, protégeant ainsi la structure de la dessiccation. Le champignon synthétise donc des métabolites secondaires (antibiotiques et acides lichéniques), acides dérivés pour la plupart des depsides et depsidones régulant le nombre de gonidies (Tableau 2.1). Le thalle protège en partie les cellules algales des ultraviolets.

2.3. Relations cytologiques
Les lichens présentent d’étroites interactions au niveau cellulaire. Le champignon est capable de pénétrer directement dans le cytoplasme des cellules algales (pénétration intracellulaire) par le biais d’un haustorium (Figure 2.2). La paroi de l’algue est ainsi perforée, alors que sa membrane plasmique s’invagine pour former une poche autour du suçoir (1 à 5 par gonidie). Dans les formes lichéniques les plus complexes, l’invagination n’est pas obligatoire : un contact membranaire via un amincissement de la zone de contact peut suffire pour échanger les molécules par simple diffusion. Certaines espèces de chlorolichens peuvent contenir des céphalodies, petits tubercules externes contenant des Cyanophyceae pouvant assurer la photosynthèse.
Figure 2.2. Structure d’un haustorium.
2.4. Cas extrêmes de la symbiose lichénique
Certains exemples marginaux montrent des champignons capables de fixer temporairement des algues pour former des « demi-lichens ». À l’inverse, la symbiose lichénique peut évoluer vers du parasitisme de l’algue par le champignon : on parle d’hélotisme. L’algue devient alors prisonnière, modifiant ses capacités photosynthétiques et reproductives (reproduction sexuée). D’autres champignons étrangers peuvent également parasiter de nombreux lichens. Une centaine d’espèces de ces champignons est connue en Europe (ascomycètes et deutéromycètes). Ils peuvent jusqu’à stériliser le lichen hôte par la neutralisation de ses fructifications. Les lichens parasités forment souvent des excroissances en réaction appelées cécidies. Dans certains cas, le champignon parasite est capable de capter des gonidies pour former à son tour une symbiose lichénique jusqu’à la coexistence des deux champignons (parasymbiose ou parabiose).
3. Morphologies et structures des lichens
Les lichens présentent une grande diversité de morphologies et de structures. Bien que ces dernières facilitent grandement la détermination des espèces lichéniques, elles n’ont aucun lien avec la classification phylogénétique des lichens.
3.1. Morphologies de thalles
Six grandes morphologies de thalles sont observables chez les lichens, influencées par le partenaire fongique (Figure 3.1) : crustacée, foliacée, fruticuleuse, complexe, squamuleuse et gélatineuse.
Figure 3.1. Différentes morphologies de thalles rencontrées chez les lichens : crustacé (a), foliacé (b), fruticuleux (c) et complexe (d).
3.1.1. Thalles crustacés
Les lichens crustacés, représentant environ 80 % des espèces lichéniques, sont semblables à des croûtes plus ou moins continues (Figure 3.1a). Ces lichens sont fortement adhérents au substrat (roches, terre ou écorces) et croissent sur (épisubstratique) ou dans (endosubstratique) le substrat lui-même. Ils peuvent être lobés au pourtour et sont souvent fendillés jusqu’à former un réel réseau en surface. Selon la taille des structures formées par ce réseau, il est possible de distinguer :
– les thalles aréolé : compartiments supérieurs à 1,5 mm de large ;
– les thalles verruqueux : compartiments entre 0,5 et 1,5 mm de large ;
– les thalles granuleux : compartiments entre 0,2 et 0,5 mm de large ;
– les thalles lépreux : compartiments entre 0,1 et 0,2 mm de large.

Les limites du thalle peuvent être très nettement marquées par une ligne au pourtour de diverses couleurs : l’hypothalle. L’anatomie de ce type de thalle est exclusivement hétéromère.

3.1.2. Thalles foliacés
Les lichens foliacés présentent une morphologie en forme de feuilles plus ou moins lobées au pourtour (Figure 3.1b). Leur fixation au substrat peut se faire par d’un point d’ancrage unique (ombiliqué) ou par plusieurs points d’attache via des rhizines. Les thalles ombiliqués peuvent être monophylles (présence d’une feuille unique) ou polyphylles (plusieurs feuilles). Leur structure anatomique est exclusivement stratifiée.
3.1.3. Thalles fruticuleux
Les lichens fruticuleux forment des lanières (plates ou cannelées) ou des tiges plus ou moins ramifiées (Figure 3.1c). Ils sont pendants ou dressés, fixés aux arbres et arbustes, ou plus rarement aux roches, par un point unique. Leur structure anatomique est stratifiée ou radiée plus ou moins cylindrique.
3.1.4. Thalles squamuleux
Le terme « squamuleux » fait référence aux écailles de plus de 1,5 mm constituant le thalle, appelées des squamules. Elles sont plus ou moins imbriquées les unes aux autres et peuvent être fortement fixées sur le substrat.
3.1.5. Thalles gélatineux
Les lichens gélatineux sont constitués d’une cyanobactérie comme partenaire algal. Ils peuvent présenter diverses formes (glomérules, minuscules touffes ou lames foliacées) semblables aux colonies cyanobactériennes du genre Nostoc. À l’état sec, ils ne sont pas très visibles (noirâtres et racornis) avec une forte capacité de reviviscence. À l’état humide, ils forment des masses lobées vert glauque. Ces lichens sont caractérisés par une anatomie de type homéomère.
3.1.6. Thalles complexes
Les thalles complexes, appelés également thalles composites, sont formés d’un thalle primaire plus ou moins adhérent au substrat (crustacé, foliacé ou squamuleux) et d’un thalle secondaire fruticuleux qui se développe a posteriori sur le thalle primaire (Figure 3.1d). Ce thalle secondaire est constitué de podétions (creux, cortiqués et parfois ramifiés) se mettant en place à la base des apothécies (e. g. chez le genre Cladonia). Dans certains cas, ces structures sont buissonnantes, non creuses et recouvertes de granules ou de squamules : ce sont des pseudo-podétions (e. g. chez le genre Stereocaulon). La diversité des structures de thalles implique une diversité dans la morphologie entre un thalle primaire hétéromère stratifié et le thalle secondaire hétéromère radié.
3.2. Structures du thalle
3.2.1. Anatomie du thalle
Les lichens décrivent deux grands types de structures anatomiques distincts basés sur l’organisation interne des deux partenaires. Il s’agit des structures homéomère (sans organisation) et hétéromère (avec organisation).

La structure homéomère ne présente aucune organisation particulière : les cellules algales et mycéliennes sont réparties de façon homogène dans l’épaisseur du thalle, mêlées les unes aux autres.

Lorsqu’une organisation interne permet de différencier des couches cellulaires, il est alors question de structure hétéromère. Plusieurs structures se différencient :
– un cortex supérieur de protection constitué d’hyphes et contenant les pigments lichéniques ;
– une couche algale dans la zone la plus éclairée, hyphes moins abondants ;
– une médulle constituée d’un lâche réseau d’hyphes, « squelette interne » du thalle ;
– un cortex inférieur formé d’un réseau très dense d’hyphes pouvant établir des rhizines.

Au sein des structures hétéromères, il est possible de différencier la structure stratifiée de la structure radiée selon la présence ou non d’un axe de symétrie. Dans le cas d’une structure radiée, un éventuel réseau dense d’hyphes parallèle à l’axe du thalle peut former un cordon axial rigide.

3.2.2. Organes de surface
Outre les organes de reproduction, maintes structures sont présentes à la surface des thalles, ayant des rôles aussi divers que la fixation ou l’échange aqueux et gazeux avec le milieu extérieur. Ces organes sont présents soit sur la face supérieure, soit sur la face inférieure du thalle.

Les organes pouvant être présents sur la face supérieure du thalle sont :
– les poils : couches cellulaires uniques (donc peu visibles à l’œil nu) ; ils peuvent former un duvet appelé tomentum ;
– les cils : couches cellulaires multiples (visibles à l’œil nu) ; ils sont présents à la surface ou en bordure du thalle et sont généralement plus sombres que celui-ci ;
– les fibrilles : cils de même couleur que le thalle possédant un cordon axial ;
– les papilles : minuscules excroissances du cortex de forme conique, plus hautes que larges ;
– les nodules : excroissances d’hyphes médullaires de forme conique, plus larges que hautes, pouvant donner naissance à des soralies ;
– les céphalodies : formées de cyanobactéries sur les chlorolichens.

La face inférieure du thalle peut présenter divers organes, tels que :
– les cyphelles : petites dépressions recouvertes de cortex inférieur plus lâche ;
– les pseudocyphelles : petites dépressions sans limitation par un cortex de protection, laissant apparaître directement la médulle ;
– les rhizines : petits filaments de formes variées ayant un rôle dans la fixation du thalle au substrat ;
– le tomentum : dense de fins filaments ramifiés ;
– les veines : saillies plus ou moins allongées en réseaux.

4. Reproduction et développement des lichens
4.1. Reproduction des lichens
La reproduction des lichens est rendue possible à travers un brassage génétique (reproduction sexuée) ou non (reproduction asexuée). La complexité de cette opération réside dans la multiplicité des partenaires de l’association lichénique. En effet, les deux partenaires doivent réaliser la reproduire de façon consécutive ou non.
4.1.1. Reproduction sexuée
La reproduction sexuée est assurée par le partenaire fongique à travers la production de spores. Pour ce faire, il y a formation de fructifications de formes diverses : apothécies, périthèces, lirelles, pycnides ou calices (Figure 4.1). La morphologie des asques (pour les ascomycètes), basides (pour les basidiomycètes) et des spores est totalement dépendante du partenaire fongique. À la germination de ces dernières, des hyphes se développent sur une surface humide, pouvant ainsi capturer une cellule algale compatible (multipliée par reproduction asexuée). En l’absence de rencontre avec une cellule d’algue, la spore meurt.
Figure 4.1. Différentes structures de reproduction sexuée chez les lichens : apothécies, lirelles et périthèces.
Les apothécies
Les apothécies sont les structures de reproduction majoritairement rencontrées chez les lichens (Figure 4.1a). Elles sont retrouvées chez les espèces de l’ancienne famille des discomycètes. Les apothécies sont présentes en surface du thalle et forment un petit sillon convexe ou concave. En coupe transversale, plusieurs structures sont observables :
– l’épithécium : partie supérieure souvent colorée ;
– l’hyménium : couche composée d’asques et de paraphyses (filaments stériles orientés sur la verticale) ;
– l’hypothécium : partie inférieure de l’hyménium, appareil ascogène ;
– l’excipulum : rebord de l’apothécie constitué d’amphithécium (chez les apothécies lécanorines) ou de parathécium (chez les apothécies lécidéines).

Les apothécies présentent un disque central souvent entourés d’un rebord. L’apparence générale est très variable, ce qui permet de distinguer :
– les apothécies lécidéines : le rebord de l’apothécie est une excroissance du disque de même couleur que celui-ci (rebord propre, excipulum ou parathécium) ; il n’y a pas ou peu de cellules algales dans le rebord (il s’agit d’apothécies pseudo-lécanorines si présence d’algues) ;
– les apothécies lécanorines : le rebord de l’apothécie appartient au thalle et est de même couleur que celui-ci (rebord thallin) ; il contient des cellules algales (amphithécium) ;
– les apothécies zéorines : présence d’un rebord propre doublé à l’extérieur d’un rebord thallin ;
– les apothécies cryptolécanorines : apothécies enfoncées dans le thalle sans bord thallin distinct du thalle.

Les lirelles
Les lirelles correspondent à des apothécies allongées plus ou moins enfoncées dans le thalle et de formes variées : droites, courbes, simples, ramifiées… (Figure 4.1b). L’excipulum, simple ou multiple, recouvre plus ou moins la partie inférieure. S’il est ouvert, il est alors question d’excipulum dimidié.
Les périthèces
Les lichens à champignon sordariomycètes (surtout chez les lichens crustacés) présentent des périthèces (Figure 4.1c), structures en forme d’urne entourée d’excipulum (ou pyrénium) rigide, pouvant être absent à la base (pyrénium dimidié). La libération des spores se fait par l’ostiole, orifice supérieur. En surface, ils peuvent être recouverts par une couronne appelée l’involucrellum ou involucre. À l’intérieur des périthèces, de courts filaments stériles sont présents en dessous de l’ostiole : ce sont les périphyses.
Les calices
Les calices se développent sur un pédoncule. Lorsqu’ils arrivent à maturité, l’hyménium se détruit ce qui permet la libération des spores.
4.1.2. Reproduction asexuée des lichens
La reproduction asexuée est assurée par la dissémination du complexe lichénique contenant cellules algales et cellules mycéliennes. Les structures associées à ce mode de reproduction sont les sorédies et les isidies (Figure 4.2). Cependant, la fragmentation du thalle sec libérant directement des complexes lichéniques dans le milieu est possible sans mise en place de structure particulière.
Figure 4.2. Différentes structures de reproduction asexuée chez les lichens : sorédies et isidies.
Les sorédies
Les sorédies correspondent à des glomérules de médulle (cellules d’algues entourées d’hyphes) libérés par les soralies (déchirures du cortex supérieur formées par le champignon laissant communiquer la médulle du thalle). Certaines soralies peuvent donner naissance à des isidies : il est alors question de soralies isidifères.
Les isidies
Les isidies sont des excroissances cortiquées du thalle inégalement réparties et facilement détachables à l’état sec. Elles présentent des formes variées (cylindrique, sphérique, claviforme, coralliforme, en pastilles, en squamules…). Elles sont constituées d’algues entourées de filaments mycéliens ainsi capables de disséminer des fragments thallins. Certaines isidies peuvent donner naissance à des soralies : on parle donc d’isidies soralifères.
Les pycnides
Les pycnides sont de minuscules périthèces sans paraphyse ni asque, libérant les conidies ou pycnidiospores par un pore supérieur.
4.2. Croissance et développement des lichens
Le développement d’un lichen se compose de trois phases :
– phase de croissance optimale ;
– phase de maturation ;
– phase de dégénérescence du centre du lichen pendant la croissance extérieur du thalle.

Les lichens ont une croissance lente, en partie liée aux phases de pause en conditions sèches : elle est minimale chez les thalles crustacés (1 mm·a−1) et maximale chez les lichens fruticuleux (1 à 2 cm·a−1). Les plus gros thalles crustacés peuvent atteindre plusieurs siècles. La croissance des thalles complexes, quant à elle, se fait par les extrémités des podétions au détriment de la base qui meurt.

5. Écologie et diversité des lichens
La large distribution des lichens sur le globe démontre leurs grandes capacités d’adaptation : ils se retrouvent dans des régions biogéographiques aussi diverses que variées, voire dans les milieux extrêmes. On leur attribue même souvent un rôle pionnier dans la mise en place d’écosystèmes de plus en plus complexes à travers l’altération de la roche-mère (action physique des rhizines et production d’acides lichéniques). Malgré leur forte plasticité, la plupart des espèces de lichens est délimitée par des conditions environnementales liées aux facteurs biotiques et abiotiques particulières.
5.1. Facteurs de distribution
5.1.1. Nature du substrat
La nature du substrat influence fortement la distribution des lichens. Ainsi, il est possible de distinguer les lichens se développant sur substrat végétal (épiphytes) des lichens se développant sur substrat minéral (rupicoles). Chez les lichens épiphytes, le substrat peut être de diverses natures : écorce (lichens corticoles), feuilles (foliicoles) ou bois (lignicoles). Certaines espèces peuvent également se développer sur les mousses (muscicoles), voire sur d’autres lichens (lichénicoles). L’espèce de l’arbre colonisé intervient sur l’implantation des lichens à travers sa composition chimique ou sa rugosité. Les écorces lisses à pH alcalin hébergeront préférentiellement des lichens foliacés alors que les écorces rugueuses à pH acide hébergeront des lichens fruticuleux.

Chez les lichens rupicoles, les lichens se développant sur roches (saxicoles) se distinguent de ceux se développant sur pierres (lapidicoles). Les caractéristiques chimiques du substrat minéral (pH, teneur en carbonates de calcium…) et physiques influencent le développement lichénique. De ce fait, certaines espèces seront préférentiellement présentes sur des substrats acides quand d’autres seront sur des substrats basiques.

Entre les espèces épiphytes et les espèces rupicoles, il existe une série de qualificatifs pour des substrats intermédiaires : les lichens terricoles se développant sur terre, humicoles sur humus ou dans les milieux tourbeux, et détriticoles sur débris végétaux. Les espèces aquatiques se développant sur substrat rocheux, elles conservent la dénomination saxicole.

5.1.2. Variables écologiques
Les espèces lichéniques sont influencées par leur environnement, tel que la composition du substrat et le climat. Pour les lichens épiphytes et rupicoles, certaines espèces préfèrent les pH acides (acidophiles) alors que d’autres préfèrent les pH élevés (basophiles). Entre ces deux catégories, il existe les espèces neutrophiles. La teneur en calcaire dans le sol ou la roche peut également influencer l’implantation d’espèces calcicoles (qui se développent sur sols calcaires) au détriment des espèces calcifuges (qui ne tolèrent pas le calcaire).

Les espèces hydrophiles sont inféodés aux milieux aquatiques. Dans la zone intertidale, les lichens sont adaptés au sel (halophiles) et sont fréquemment rencontrés sur substrat rocheux acide (par exemple, Verrucaria qui forme une ligne noire, Lichina une ligne brune en présence d’embruns et Caloplaca et Xanthoria une ligne orange). De même, les lichens d’eau douce peuvent être émergés (de 3 à 6 mois a−1) ou non.

Le climat intègre de nombreux paramètres susceptibles de délimiter la distribution des lichens, potentiellement en interaction les uns avec les autres : il s’agit de la lumière (photophiles si présents à la lumière, héliophiles si directement soumis aux rayons solaires ou sciaphiles si présents à l’ombre) de l’humidité (hygrophiles en milieu humide, xérophiles en milieu sec ou mésophiles en conditions intermédiaires), de la pluie (ombrophiles), de la neige (chionophiles), de la chaleur (thermophiles) et du vent (anémophiles). La capacité de reviviscence (reprise d'activité biologique après une période de vie latente suite à une dessiccation) permet cependant la colonisation des milieux soumis à une sécheresse temporaire.

Fortement dépendant de l’atmosphère, les lichens sont influencés par la chimie atmosphé-rique. Certaines espèces sont donc adaptées aux poussières (coniophiles), à la pollution (poléotolérantes) ou encore se développent spécifiquement selon la concentration en composés azotés (nitrophiles vs nitrophobes). D’autres encore présentent même une affinité vis-à-vis des substrats riches en déjections d’oiseaux : elles sont dites ornithocoprophiles.

5.2. Lichénosociologie
En dehors des facteurs abiotiques précédemment évoqués, les interactions entre espèces lichéniques ou autres (e. g. compétition, mutualisme…) agissent comme des éléments supplémentaires à prendre en compte dans leur distribution et la formation de cortèges sous forme de groupement lichénosociologiques. À l’échelle mondiale, il devient possible de distinguer les cortèges holarctique (régions nordiques, arctiques et méditerranéennes avec une flore très homogène), tropical (grande richesse de lichens à Trentepohlia) et antarctique (fort endémisme). Au niveau de l’Europe occidentale, cinq grands cortèges floristiques sont caractéristiques :
– le cortège holarctique : regroupant des espèces à large distribution spatiale, caractéristiques du fond commun de l’Europe occidentale (espèces cosmopolites et peu exigeantes) ;
– le cortège atlantique : incluant des espèces dépendant d’une certaine pluviométrie, essentiellement typiques de la façade occidentale ; la France présente une large distribution de ce type ;
– le cortège médio-européen : présentant un enrichissement du genre Cladonia caractéristique de l’Europe centrale ;
– le cortège méditerranéen : regroupant des espèces à tendance calcicoles, accompagnant plus ou moins l’air du chêne vert ;
– le cortège alpin : caractéristique des massifs montagneux ; au-delà de 3 000 m d’altitude, les lichens sont quasiment les seules espèces présentes.

À plus grande échelle, les lichens constituent des paysages à eux seuls. Des groupements se forment donc selon la nature du substrat colonisé (épiphytes, rupicoles, terricoles, humicoles ou aquatiques), ce qui permet de décrire des cortèges en fonction des conditions environnementales. Par exemple, les espèces épiphytes ne seront pas identiques selon le type d’écorce (rugueuse ou lisse) ou l’emplacement sur l’arbre (tronc, branche, houppier, souche…). De la même façon, les groupements de lichens se développant sur sol seront adaptés à la nature chimique du sol (pH, teneur en calcaire, type d’humus…) : chaque type de sol présentera un ou des cortèges lichéniques.

6. Utilisation des lichens
6.1. Indicateurs de la pollution atmosphérique
Du fait de leur longévité, leurs caractéristiques anatomiques et physiologiques (absence de cuticule, absence de système racinaire, absence de système excréteur, métabolites secondaires aux propriétés chélatantes…) et leur activité biologique quasi annuelle, les lichens présentent une grande sensibilité vis-à-vis de l’atmosphère. Ainsi, la diversité lichénique dans les zones polluées est fortement diminuée, dont les premières observations ont été effectuée en 1866 dans le jardin du Luxembourg à Paris (Nylander, 1866). De là est née la biosurveillance qui utilise les organismes biologiques pour évaluer l’altération du milieu environnant. Au sein de cette discipline, plusieurs approches de diagnostic environnemental sont distinguées :
– la biointégration : observation de changements structurels au niveau population/communauté en réponse à un stress environnemental sur la durée ; la biointégration peut être considérée comme de la bioindication à un niveau supérieur (il y a en effet souvent confusion entre ces deux termes) ;
– la bioindication : observation des réponses biologiques (morphologique, physiologique, tissulaire…) d’un organisme vivant (i. e. au niveau individuel) exposé à un contaminant ;
– le biomarquage : utilisation de marqueurs aux niveaux de la biologie structurelle ou fonctionnelle (enzyme, physiologie, génétique…) indiquant une influence du milieu environnant sur les fonctions biologiques ;
– la bioaccumulation : outre le mécanisme naturel par lequel une substance présente dans l’environnement s’accumule dans l’organisme (à ne pas confondre avec la bioamplification qui correspond à la concentration de ces substances d’un niveau trophique à l’autre), cette démarche vise à déterminer les teneurs en éléments chimiques accumulés depuis l’environnement.

La sensibilité aux polluants atmosphériques est largement dépendante de l’espèce considérée. Il est donc indispensable de connaître la sensibilité de chaque espèce vis-à-vis des différents contaminants pour l’intégrer dans une échelle de biosurveillance. La biointégration différencie deux types d’approches : (1) les méthodes qualitatives déterminant le degré de pollution à partir d’observations de terrain ou par une échelle de correspondance entre la flore lichénique et le taux de pollution et (2) les méthodes quantitatives calculant un indice de pollution à partir des espèces lichéniques sans critère de pollution.

6.2. Autres utilisations
Hormis l’utilisation en biosurveillance de la pollution atmosphérique, les lichens sont consommés par certaines populations humaines (Lapons, Canadiens ou Japonais) sous forme de farine dans la plupart des cas, malgré une palatabilité limitée. Plusieurs espèces de lichens foliacés et fruticuleux sont connues pour cette utilisation, libérant le glucose lors de la digestion de la lichénine : Cetraria islandica, Bryoria fuscescens ou Umbilicaria muhlenbergii. Durant la Seconde Guerre mondiale, une manufacture de l’ex-URSS extrayait le glucose des lichens. Depuis des siècles, la théorie des signatures donne une fonction médicinale à certains végétaux à partir de leur structure. Ainsi, Lobaria pulmonaria était prescrit pour des affections liées à la respiration (toux, douleurs à la poitrine…), Parmelia sulcata contre les maux de tête et Usnea plicata contre l’épilepsie. Comme de nombreux végétaux, les lichens présentent en effet des molécules d’intérêt comme les antibiotiques. Cependant, les concentrations sont bien trop souvent faibles pour être rentables.

Depuis longtemps, certaines espèces de lichens étaient utilisées dans la parfumerie : des échantillons de Pseudevernia furfuracea sont retrouvés dans les tombeaux égyptiens comme baume. Cette même espèce, ainsi que Evernia prunastri, sont encore aujourd’hui utilisées dans la fabrication de parfums et de savons. Ils entrent dans certaines compositions : ambre, chypre, genêt ou eau de lavande. Bon nombre d’espèces lichéniques produisent une teinte, soit par simple ébullition (jaune, vert, brun), soit par macération dans l’azote (rouge-violet), les rendant intéressants dans les applications tinctoriales.

Enfin, les lichens crustacés (comme Rhizocarpon geographicum) peuvent être utilisés en paléoclimatologie : la datation des plus vieux lichens sur les roches en milieu montagnard (datation de la colonisation de la roche) permet de définir l’âge du retrait des glaciers après la dernière glaciation.

Références
Feuerer T., Hawksworth D. L. (2007) Biodiversity of lichens, including a world-wide analysis of checklist data based on Takhtajan’s floristic regions. Biodiversity and Conservation 16: 85‑98.

Nylander W. (1866) Les lichens du Jardin du Luxembourg. Bulletin de la Société botanique de France 13: 364‑371.

Roux C., et al. (2020) Catalogue des lichens et champignons lichénicoles de France métropolitaine. Association française de lichénologie (AFL), Fontainebleau. 1769 p.